Un site naturel à découvrir : son histoire humaine, ses vestiges, sa faune, sa flore...

"Une trentaine de kilomètres de gorges suffirait à faire de la Cère une perle des rivières du Massif central et de la ligne ferroviaire une des plus étonnantes de France " 

Les Gorges et le verre

 

Les Gorges et le verre

 

Introduction

Le premier savoir-faire caractéristique du territoire est celui des « gentilshommes verriers. »

De la fin du Moyen-Âge à 1870, les Gorges de la Cère étaient un territoire très propice pour la fabrication de verre, riche en matières premières comme la présence de sable fin dans le torrent. Au bord du cours d’eau, se trouvaient également des fougères dont les cendres, riches en alcali, servaient à diminuer la température de fusion du verre. D’autre part, le bois, présent en grande quantité, constituait le combustible servant à la fonte. Son transport était de plus facilité par le flottage dans la Cère.

Les verriers se seraient implantés dans les Gorges de la Cère vers 1500 et seraient venus de Laguépie (Tarn-et-Garonne). Astorg de Carvailhac avait fait venir deux verriers qui arrivaient de la Forêt de Grésigne pour y implanter leur verrerie. Il leur avait encensé un coin de terre avec l’autorisation de couper tout le bois dont ils avaient besoin. Astorg de Carvailhac était implanté à côté de Lacapelle-Marival (Lot). Les verriers sont arrivés à la Cère en raison du bois, qui était nécessaire pour faire chauffer les fours, ces derniers fonctionnant nuit et jour pendant toute une « campagne ». L’histoire des verriers prétend que d’autres étaient venus pour se mettre à l’abri car ayant épousé la religion protestante, ils étaient soumis à beaucoup d’exactions. La première grande famille de verriers, les Colomb, était supposée présente dans la Forêt de Grésigne avant 1500. Dans les Gorges, il y avait aussi les familles Grenier, Riol, Suin, et les frères Feltz. Pour différencier les très grandes familles, leur nom était très souvent accolé à leur lieu de résidence et de travail comme les Colomb du Theil par exemple. Ils ont eu très tôt des privilèges accordés par les rois et les seigneurs des environs car il fallait attirer les verriers étrangers qui avaient une grosse connaissance de cet art. Ces derniers provenaient du Moyen-Orient ou de Venise. Une ordonnance de 1339 prétend que tous les ouvriers-verriers ont droit au titre de « gentilshommes » et ils sont même anoblis. Chaque famille disposait de son propre blason. La Charte des Verriers date de 1448 et elle est signée par Jean de Calabre. Celle-ci, beaucoup plus précise, reprend tous les droits, libertés et franchises. Ils sont exempts de tout impôt. Il fallait cinq générations pour pouvoir maintenir la noblesse. Les vrais nobles étaient mécontents de ces privilèges car ils les considéraient comme des ouvriers et des roturiers. 

On dénombre 22 verreries implantées dans les gorges, dont 13 sur la rive droite et 9 sur la rive gauche de la Cère. Il en existait de deux sortes distinctes. Les verreries permanentes comme le Theil, Lacoste et Sagnemoussouse, avec très souvent la maison du maître et les bâtiments des verreries autour, se trouvaient sur un site facile à défendre car le verrier noble était un semi-seigneur et comme tout seigneur, il était jalousé, considéré comme riche à tort ou à raison. Les verreries temporaires s’implantaient au bord de la rivière pour deux raisons. En premier lieu, elles avaient besoin du bois, coupé en amont et acheminé par flottage jusqu’à la verrerie. En second lieu, elles s’implantaient à cet endroit pour le sable. En principe, tout était détruit quand ils changeaient d’emplacement. Il ne reste aujourd’hui que trois fours. Ils faisaient également brûler des fougères, les cendres étant très riches en potasse. Ils récupéraient ainsi ces dernières, dites de ménages, utilisées comme savon pour les doigts, mais qui pouvaient aussi servir pour faciliter la fusion du verre. 

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Le four des verriers

 Le four à verre mesurait 3,30 mètres de long, 2,40 de large, sur 1,80 de haut. À la base, se trouvait une grosse pierre de granit dite « l’assise ». Au milieu, il y avait le tisard, c’est-à-dire la chambre de chauffe avec une sole en terre réfractaire, circulaire avec un trou pour faire monter la flamme. Ensuite, se dressait une voûte, comme un four à pain, dans la même terre. Par-dessus, il était mis de l’argile colmatée et des pierres en schiste pour la toiture. Partant du four, se trouvait un four annexe allongé appelé l’arche. Dans le four, on pratiquait des ouvreaux qui permettaient d’alimenter les creusets et d’aller « cueillir » la poche, petite boule de verre. À côté du four se remarquaient des banquettes, tiges horizontales en fer sur laquelle pouvait rouler la « canne », puis une pierre plate pour arrondir la boule au bout de la tige. Un des fours était exploité par les frères Feltz, originaires de Saverne et partis ensuite sur Pleaux. Le creuset, de 70 centimètres de haut, avait la forme d’une cloche. L’un d’entre eux se trouve à la mairie de Lamativie. Au-dessus du four, il y avait une charpente destinée à recevoir le bois arrivé par flottage pour le faire sécher. Cela s’appelait cela « monter la roue ».La chauffe du verre nécessitait environ trois jours à 900°C. Quand il n’y avait plus de bulles, d’écumes, que la surface était étincelante, les verriers pouvaient commencer à travailler. Quelquefois se produisaient des événements imprévus. Un oubli de clou dans le verre cassé pouvait faire bouillir et déborder le verre en fusion. Les verriers avaient pour solution d’utiliser la « palourde », longue pelle permettant de vider le creuset et de récupérer la matière en train de s’échapper. Chaque four comptait quatre à six creusets pouvant contenir environ 20 à 25 litres de matière. À la fin, les artisans laissaient baisser la température pour que le verre obtienne son degré de fluidité pour être travaillé. 

La fabrication du verre

Les verriers utilisaient 70 % de sable, recueilli sur place ; le fondant (cendres de ménage) ; le verre cassé (15 %) et la substance stabilisante (spathe ou chaux) pour constituer du verre dur. Le fondant permettait de faire baisser la température (environ 900°C). Ils obtenaient la plupart des substances sur place bien qu’ils achetaient parfois la chaux. Pour colorer le verre, les verriers utilisaient des ingrédients comme le manganèse qu’ils allaient chercher pas très loin des gorges. Le livre de raison de Jean Colomb, ancien maître-verrier, prétend que l’on trouvait du manganèse près de La Roquebrou mais aussi dans la région : « Aladière, potier de La Roquebrou m’a assuré que l’on trouvait abondamment de la dite pierre de couleur, qui est un manganèse, à Condat, à deux lieues de Terrasson.» Chaque recette inscrite dans le journal permet de constater qu’il n’y a pas « un » verre mais plusieurs verres, étant de couleur ou de dureté différente.  

Huit ans d’apprentissage sont nécessaires pour devenir maître-verrier car le travail du verre demande une maîtrise « formidable » et donc parfaite. Autour de la verrerie, il y avait le verrier, les tiseurs, les trieurs de verre cassé, les bûcherons, les conducteurs de bois mais aussi les veilleurs. Une campagne durait environ trois mois. Le verre se travaillait une partie de la nuit avec une interruption de 18h à minuit. La première équipe commençait à travailler à minuit, après la prière. Les principes moraux et religieux étaient très stricts autour de la verrerie. Ils ne toléraient pas la présence d’une personne féminine. Les artisans ne travaillaient jamais le dimanche, hormis pour entretenir le feu. À l’aube, avait lieu le premier repas qu’ils nommaient le « réveillon »

Ensuite, les marchands arrivaient de partout avec très souvent du verre cassé pour payer. Il se pratiquait alors à la « course au clocher » car il n’y avait pas toujours de verre pour tout le monde. Les marchands s’alignaient devant le four, prenaient leur bourse et celui qui la lançait le plus près du four avait la priorité pour réaliser ses achats. 

Objets fabriqués-déclin des verreries

 Les verriers fabriquaient des fioles pour les apothicaires, pharmaciens de l’époque. Ils produisaient également des pièces de verre très variées : lampes à huile, des verres accolés pour le sel et le poivre, des bénitiers, des burettes, des vases, le gobelet et la carafe, le vase à confiture, la gourde… À la fin de la chauffe, les apprentis pouvaient fabriquer leur propre objet avec les restes pour montrer leur savoir-faire au maître-verrier. Ceci s’appelait le « bousillage ». Il apparaît entre autres qu’un des apprentis a fabriqué un pistolet de verre  à la fin d’une campagne. Lorsque la campagne était terminée, le doyen des verriers frappait trois coups de sa canne sur une marbrière pendue au mur, ce qui signifiait « l’arrêt de mort » de cette dernière. Les ouvriers ramassaient alors le verre, emballaient les outils et partaient vers un autre emplacement. Il y avait aussi une entente entre les verriers. Si un des sites chauffait, l’autre ne chauffait pas. Ils s’associaient et il n’existait ainsi pas de concurrence. 

Autrefois, près de la  verrerie du Theil, sur la commune de Siran, il existait un pont en bois qui permettait de franchir la Cère et notamment aux clients de venir s'approvisionner sur la rive droite du cours d'eau. le four de la verrerie du Theil fut actif jusqu'en 1810. Les derniers fours découverts dans les Gorges de l’Escaumels sont les plus récents. Bâtis au début du XIXe siècle, ils se seraient arrêtés vers 1848.  La dernière verrerie, temporaire et permanente, à Lacoste, sur la commune de Goulles, s’est arrêtée en 1870. Une dizaine d'années seulement avant que les Gorges de la Cère connaissent une nouvelle aventure humaine exaltante avec un véritable défi lancé à la nature : percer pas moins de 23 tunnels dans la roche la plus dure et dérouler 25 km de ruban de fer entre Laroquebrou et Laval-de-Cère !

De nos jours, le long du sentier, certaines ruines apparaissent, mais sont restées jusqu’alors non entretenues par les propriétaires des terrains sur lesquels elles se situent.    

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